L'histoire
Un mercredi matin d’octobre semblable à tous les autres, Bert Brockhouse se lève à l’heure habituelle, vers 6:45. Tout en s’étirant un peu pour débarrasser son corps des courbatures de la nuit – il a 76 ans- il remarque que la petite lampe rouge du répondeur téléphonique clignote.
“Qui a bien pu téléphoner au milieu de la nuit?” se demande-t-il en appuyant sur le bouton d’écoute. Il entend une voix, lui expliquant que l'appel vient de Stockholm en Suède et que: « B. N. Brockhouse et C. G. Shull ont reçu le Prix Nobel de physique pour 1994. » Brockhouse est stupéfait et pendant un instant se dit « Oh mais c’est très intéressant » avant de réaliser d’un seul coup « Mais B. N. Brockhouse, c’est moi! » Il appelle sa femme Doris, afin qu’elle écoute l’enregistrement avec lui.
Brockouse, qui est à la retraite, passe le reste de la journée à répondre au téléphone, recevoir des télégrammes, et donner des interviews et l’année qui suit il voyage, reçoit des récompenses, assiste à des banquets et donne des conférences, ce qui l’extrait complètement de sa calme retraite. Dans la lettre de Noël qu’il envoie chaque année à ses amis, après avoir décrit les festivités à Stockholm, il ajoute:
« Ah au fait, au cas où vous soyez intéressés, nous avons une nouvelle voiture depuis cet été, une Chrysler Neon.”
Les origines du Prix Nobel de Brockhouse remontent à 1951. Il venait d’obtenir son doctorat de physique à l’Université de Toronto et était assis à son bureau, situé dans une baraque décolorée au toit de bardeaux bleus, datant de l’époque de la guerre. Ce bureau se trouvait à Chalk River, location du projet pour l’énergie atomique fondée par le Conseil National de la recherche canadien.
Brockhouse contemplait la neige par la fenêtre. C’était l’hiver, mais il faisait chaud dans la cabane. Il était juste assis, en train de réfléchir, et ruminait différentes choses. Il avait passé la soirée chez son patron Donald Hurst il y a quelques jours. Hurst était aussi le directeur de la division de spectrométrie à neutrons. Ils avaient lu un article datant de 1944 et consacré aux neutrons — des particules subatomiques dépourvues de charge électrique qui, avec les protons, forment le noyau d’un atome.
L’existence des neutrons n’avait été vérifiée que 12 ans auparavant, et on ne savait pas grand-chose d’eux. Brockhouse ne comprenait pas très bien les théories expliquées dans l’article, mais il pensait qu’il contenait beaucoup d’idées intéressantes. Il était supposé travailler sur un autre sujet, mais il ne pouvait s’empêcher de penser aux concepts exposés dans cet article et comment il pourrait faire des expériences à Chalk River afin d’essayer certaines des nouvelles théories.
Il gribouilla des théories mathématiques sur son calepin pendant un moment, puis se rendit à la cafétéria. En passant près du laboratoire qui abritait la pile nucléaire radioactive - une réaction nucléaire contrôlée qui émettait l'une des sources de neutrons la plus puissante du monde à cette époque - il se demanda s’il pourrait l’utiliser. Arrivé à la cafétaria, Brockhouse rencontra Hurst et lui dit: « Don, il y a quelque chose que j’aimerais vous montrer. » Ils allèrent au tableau noir où Brockhouse ébaucha quelques équations; celles-ci décrivaient un appareil qui utiliserait un faisceau neutron en guise de spectromètre. Un spectromètre est une sorte de lampe électrique qui permet de pénétrer les mystères des structures de cristal et autres solides comme les métaux, les minéraux, les gemmes et les roches.
Le jeune scientifique...
Dans les années 1920, la famille de Bert Brockhouse quitta Lethbridge dans l’Alberta pour s’installer à Vancouver, en Colombie Britannique. Ils tenaient une pension dans le West End de la ville, et Bert faisait des tournées de distribution de journaux pour contribuer aux revenus de la famille. Il aimait pêcher et allait avec ses copains attraper des menés (petits poissons brillants), morues et saumons sur la digue à English Bay. Adolescent, il bricolait des radios, passait beaucoup de temps dans les magasins de réparation de radio et construisait lui-même des radios en utilisant des schémas publiés dans des magazines de vulgarisation. Une fois le lycée fini, au lieu d’aller à l’université, il travailla comme réparateur de radio. Puis la Seconde Guerre Mondiale arriva, et il utilisa ses talents radio pour travailler comme technicien spécialisé en électronique dans la Réserve naval Canadienne.
Une fois la guerre finie, Brockhouse fréquenta l’Université de Colombie Britannique où il étudia les maths et la physique. Après avoir épousé Doris, une monteuse de cinéma qui travaillait au National Film Board, il termina son doctorat et les nouveaux époux partirent s'installer à Chalk River. Brockhouse travailla toute sa vie à Chalk River, perfectionnant le spectroscope à neutrons et ses applications. Il résolut les problèmes de contrôle de la source de faisceau de neutrons, en la limitant à des neutrons provenant d’une seule source énergétique uniquement; il se débarrassa des radiations parasites provenant d’autres expériences en cours dans le laboratoire, ainsi que des problèmes dus à la sensibilité des détecteurs. Le spectroscope à neutrons à trois axes qui en résulta est maintenant utilisé dans le monde entier pour étudier les structures cristallines.
La science
Brockhouse a effectué des expériences dans le domaine de la physique des solides comme les métaux et les cristaux. Ce genre de physique est appelé physique des états solides. Il utilise comme outil le spectromètre à neutrons qu'il a développé à Chalk River, et qui lui permet de regarder directement dans la structure cristalline des solides afin de découvrir comment des choses solides comme des roches ou des gemmes sont structurées de l’intérieur et comment elles « tiennent ensemble. »
Imaginez que vous dirigez un faisceau de lumière vers un objet. Votre conception de cet objet est basée sur la lumière qui est réfléchie par celui-ci.
Mais au niveau atomique la longueur d’onde du rayon de lumière est « trop grande ». La longueur d’ondes (ou la « taille ») de la lumière en provenance d’une lampe de poche est d’environ 7,000 Angstroms (un Angstrom possède en gros la largeur d’un atome d’hydrogène, ou 10-10 mètre), tandis que la longueur d’onde d’un faisceau de neutrons n'est que de un à quatre Angstroms. Autrement dit, si vous pouviez utiliser un rayon de « lumière » neutron, vous pourriez voir des détails plusieurs milliers de fois plus petits que ceux qu’on peut voir à la lumière ordinaire. Et au fait, c’est par exemple la longueur d’onde plus courte des rayons X qui leur donne le pouvoir de pénétrer au cœur des choses et de révéler des détails invisibles à la lumière normale.
D’après Brockhouse, « la vertu des neutrons, c’est qu’ils nous permettent d’en savoir beaucoup sur un matériau en utilisant un faisceau de neutrons. » Il est possible de calculer la distance entre les atomes et l’angle des liens entre eux, la force et l’énergie de ces liens atomiques, et de nombreuses autres choses encore. » Toutes ces informations sont très utiles et peuvent être utilisées lors du travail avec le métal, les roches, les gemmes et autres matériaux solides. Mais au bout du compte, Brockhouse essayait juste de satisfaire sa curiosité humaine naturelle; il voulait savoir de quoi sont faites les choses et à quoi ressemble l’intérieur d’une roche.
1. Le spectroscope à neutrons à trois axes original (1959). Un spectroscope est un appareil qui mesure l’angle, la longueur d’ondes et l’énergie de la lumière ou d’un autre type de radiation, dans ce cas la radiation des neutrons. Le panneau de 52 interrupteurs rotatifs en haut au centre de l’image pouvait être préréglé pour passer par un balayage énergétique allant jusqu’à 26 points. Une caractéristique du spectromètre de Brockhouse était la façon dont 3 angles pouvaient être modifiés: la direction du faisceau de neutrons, la position du spécimen, et l’angle du détecteur. Ajoutez à ceci la possibilité de varier l’énergie des neutrons qui arrivent et la sensibilité du détecteur et voila: on obtenait une création digne du Prix Nobel. (Photo communiquée par aecl)
2. Cristal « monochromateur ». « Monochromateur » signifie littéralement « colorier d’une seule couleur ». Un cristal d’aluminium spécifique était utilisé pour séparer les neutrons d'une énergie ou d'une couleur particulière. Le fait de connaître la couleur exacte du faisceau entrant peut permettre d’en savoir plus sur l’intérieur du matériau que vous étudiez. Le faisceau était alors dirigé et collimaté (redressé par un passage dans une série de fentes) avant d’être envoyé sur la cible.
3. Spécimen. La position de la cible en métal ou en cristal peut être changée sur deux axes (pivotée vers le côté ou vers le haut par exemple). Le faisceau de neutrons rebondit sur la cible dans différentes directions, ce qui permet de déduire des informations sur la structure atomique du matériau, si les neutrons peuvent être détectés.
4. Détecteur. Le cristal d'analyse, similaire au cristal monochromateur, peut être réglé de façon à ne laisser passer que les neutrons en provenance d’énergies particulières. Ces neutrons vont ensuite, par le cristal d’analyse, vers le détecteur qui les compte. En connaissant l’énergie, la quantité et l’angle des neutrons qui passent dans le spécimen et en mesurant ensuite l’énergie, la quantité et l’angle des neutrons qui en sortent, les physiciens peuvent calculer différentes choses concernant la structure interne du spécimen.
Mystère
Comme de nombreux physiciens à la retraite, Brockhouse aimait explorer des idées métaphysiques — des concepts comme l’esprit, la moralité, l’éthique et les croyances. Durant les vingt dernières années de sa vie il travaillait sur ce qu’il appelait « Le grand Atlas », un livre comportant une sorte de « règlement » de la nature, incorporant aussi bien des théories physiques que métaphysiques. Brockhouse était un homme religieux, et sa croyance dans la théorie de la physique coexistait avec ses croyances spirituelles. « La science est un acte de foi, » disait-il. « Sans la foi, comment la compréhension de l’existence d’un neutron pourrait-elle aider aux problèmes moraux plus larges de la vie? »
L’exemple que Brockhouse donnait d’un problème moral est celui de la « destinée Kantienne » — c'est-à-dire, l’idée que nous sommes condamnés car même lorsque nous savons que quelque chose est mauvais pour nous, nous le faisons quand même parce que tous les autres le font. On pourrait citer comme exemple la conduite d'une voiture, l'utilisation d'ordinateurs ou regarder la télévision. Brockhouse pensait que de tels problèmes requéraient des solutions métaphysiques, et non pas scientifiques.
Explorer Plus
Fritjof Capra, The Tao of Physics, fourth edition, Shambhala Books, 2000.
Page concernant Brockhouse sur le site Web du prix Nobel.
Le site Web du laboratoire de spectroscopie à neutrons de Budapest en Hongrie.
Carrière
Brockhouse believed that the most important thing a person could learn and apply in one's career is discrimination, in the sense that one must learn to tune out the bad stuff and focus on the good, like a radio tunes into just one frequency.
La personne
- Date de naissance
- 15 juillet 1918
- Lieu de naissance
- Lethbridge, Alberta
- Date de la mort
- 13 octobre 2003
- Endroit de la mort
- Hamilton, Ontario
- Résidence
- Ancaster, Ontario
- Membres de famille
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- Père : Israel Brockhouse
- Mère : Mabel Emily Neville
- Conjoint : Doris Miller
- Enfants : Anne, Gordon, Ian, James, Beth, et Charles
- Petits enfants : 8
- Personnalité
- Modeste, honnête, distrait, économe, aimable, persistant
- Musique préférée
- Gilbert et Sullivan, Mikado, « A Wandering Minstrel I » ou Yeoman of the Guard « I Have a Song to Sing, Oh »
- D'autres intérêts
- Famille, lecture, bridge (jeu de cartes), et ordinateurs.
- Situation
- Deceased
- diplomes
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- BA (Physique et Mathématiques) Université de la Colombie-Britannique, 1947
- PhD (Physique) Université de Toronto, 1950
- Recompenses
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- Prix Nobel pour la Physique, 1994
- Médaille du Conservateur (Société royale du Canada)
- Prix de Buckley (Société physique américaine)
- Médaille et prix Duddell (Institut britannique de la physique et société physique)
- Médaille du centenaire du Canada
- Membre, Société royale du Canada
- Compagnon, Ordre du Canada
- Membre étranger, Académie suédoise royale
- Camarade, Société royale de Londres
- Médaille du vingt-cinquième anniversaire du règne de la Reine Elizabeth
- Mentor
- Donald Hurst, son patron au projet d'énergie atomique de Chalk River qui l'a soutenu dans son étude des faisceaux neutron.
- Dernier mis à jour
- 15 mai 2020
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